En juillet 2024, s’est tenue à Minneapolis (USA) la huitième édition des conférences ICAR (International Conference on Adoption Research) qui a réuni environ 200 chercheurs de 19 pays différents. La France était, comme d’habitude, largement sous représentée, aucun organisme de recherche ni organisation publique n’étant présente ou représentée.
L’adoption comme sujet d’étude
Dans le monde académique, l’adoption apparait comme sujet après la seconde guerre mondiale dans de nombreux pays. L’essentiel de la littérature scientifique consacrée à ce thème concerne l’aspect psychologique et développemental (on ne parle pas encore de neurosciences). En effet, décoreller ce qui relève de la nature de ce qui relève de la culture fait appel soit à des jumeaux vivant dans des environnements séparés (conservation du génétique), soit à des fratries dont un des membres est adopté (conservation de l’environnemental). Remarquons que depuis les travaux de Philippe Descola, l’expression naturel/culturel s’est transformée en génétique/environnemental, la nature étant désormais considérée comme un élément du culturel. A la fin du siècle précédent, les adoptés sont devenus des sujets d’étude en soi, pour évaluer le développement psychique et cognitif, en les comparant à des populations n’ayant jamais été placées dans des situations de stress. L’accent a été mis sur les effet psychiques provoqués par des situations traumatiques précoces et quels étaient les moyens les plus adaptés pour y remédier. C’est le moment de gloire de la plasticité cérébrale, accompagnée du concept de résilience, dont l’initiateur est Michael Rutter, le psychiatre le plus cité au monde. Les conférences ICAR apparaissent au moment de ce changement de paradigme. Revenir sur leur histoire en analysant les thèmatiques abordées permet de retracer l’évolution de l’adoption en tant qu’objet d’étude.
ICAR1
La première édition n’était en fait pas destinée à perdurer, et ne porte pas le nom d’ICAR1. Elle a eu lieu en juillet 1999 sous l’impulsion d’Harold Grotevand. Elle réunit une centaine de chercheurs du monde entier dans un hôtel de Minneapolis, et à ma connaissance il n’y a pas eu de compte-rendu des présentations.
ICAR2
La seconde édition, intitulée ICAR2 dans l’espoir d’engendrer une continuité, n’aura lieu qu’en juillet 2006 à Norwich (GB), grâce à Beth Neil qui a repris le flambeau. La participation était probablement de 250 personnes. Les principaux thèmes abordés étaient le développement de l’enfant (comparaison avec d’autres modes de prise en charge ; problèmes comportementaux, santé), la préparation des adoptants, les origines, les enfants à besoin spécifique, l’histoire, la démographie et l’adoption ouverte.
ICAR3
On peut considérer qu’à partir d’ICAR3 s’installe une certaine régularité de cette manifestation, organisé en juillet 2010 par Femmie Juffer (titulaire d’une chaire Adoption à l’université de Leiden). Environ 300 chercheurs étaient présents. On retrouve dans cette édition le développement (attachement, influences génétiques ou environnementales, comparaisons des modes de prise en charge, estime de soi, santé), la préparation des parents, la démographie (« est-ce le début de la fin ? »), l’adoption ouverte, le secret de l’adoption, mais on parle aussi de la convention de La Haye.
ICAR4
Organisé à Bilbao en 2013 par Jesus Palacios, les thèmes récurrents sont là à ICAR4 : développement (attachement, santé, adolescents), origines, l’identité, démographie, ouverture. Les nouveaux sujets : la zone grise ; l’adoption par les gays et lesbiennes, les familles de naissance, la neurobiologie.
ICAR5
En 2016, Rhoda Sherman a organisé la cinquième session à Auckland, en Nouvelle-Zélande. En plus des thèmes déjà présents dans les éditions précédentes, il convient de noter : les microagressions, la post adoption, les contextes indigènes (la population d’origine maori est très importante dans le pays), les adoptés devenus parents, le lien avec la GPA.
ICAR6
Geneviève Pagé a orchestré à Montréal en 2018 l’édition ICAR6, quelques semaines après que le législateur québécois avait décidé, contrairement à toutes les attentes, de ne pas introduire dans son droit la forme simple de l’adoption, renvoyant à plus tard l’adaptation du système pour les peuples premiers. Les adoptions coutumières et l’anthropologie ont eu une place importante dans cette conférence.
ICAR7
La septième édition était prévue à Milan en 2020, sous l’autorité de Rosa Rosnatti. Elle s’est finalement tenue en Visio conférence en juillet 2021 à cause de la pandémie du covid. ICAR 7. Une place importante était réservée à l’adoption en Europe de l’Est. Sont maintenus les thèmes usuels, tels que le développement/santé et plus particulièrement les adolescents, les adoptés adultes (devenus parents), les enfants à besoins spéciaux, les origines, les adoptions ouvertes et celles par des couples de même sexe. Parmi les sujets qui émergent, on peut citer les discriminations, l’impact de la religion, les effets de la pandémie de covid ; les mères de naissance sont explicitement mentionnées.
ICAR8
Le dernier ICAR8 à Minneapolis en juillet 2024 était chaperonné par Dana Johnson. Signalons quelques interventions particulières.
Pays-Bas
Le fait que les Pays-Bas venaient de mettre un terme aux adoptions internationales a constitué un événement important. Cette décision reposait essentiellement sur le rapport dit Joustra, du nom du haut fonctionnaire placé par le ministère de la justice à la tête de la commission d’enquête. Il a été qualifié de travail d’archive « quick and dirty » par les chercheurs néerlandais qui connaissaient bien le sujet. Ils se sont montrés extrêmement critiques sur la qualité de ce travail reposant sur de l’auto évaluation, en pointant des lacunes méthodologiques et l’absence de nuances. Aucune des analyses du rapport Joustra ne prend en compte l’époque à laquelle les faits se sont produits ; les conclusions sont tirées de situations passées qui ne peuvent pas s’appliquer au présent sans tenir compte des changements structurels. Aucune information n’est fournie non plus sur l’âge des adoptés impactés. Il n’y a pas de quantification du phénomène, seulement quelques exemples anecdotiques. De plus, les données sont inaccessibles et ne permettent pas la reproductibilité de l’expérience, ce qui au cœur de toute démarche scientifique. Ces remarques ont d’ailleurs été publiées dans des revues d’histoire (Journal of Applied History) et ont donné lieu à des réponses de la part des auteurs du rapport. Ce document a stigmatisé l’adoption internationale et a eu des impacts aussi bien sur les adoptés que vis-à-vis des pays d’origine. Pourtant, dans le monde, le nombre d’enfants vivant en institution est en augmentation ; on l’estime à 7,2 millions et pour l’Union européenne et les USA, ce sont 0,5% de la population de mineurs qui sont en placement alternatif.
Pairs aidants
Il est à noter l’absence de communication sur le soutien aux postulants dans cette édition ICAR8, en dehors des enfants pour lesquels il est très difficile de trouver une famille. Ce sont les adoptés qui sont le « cœur de sujet », moins pour l’aspect origines, que par le soutien dans la post adoption, plus particulièrement quand il est apporté par des pairs, ce que la littérature place sous l’expression « community based ».
De nombreuses interventions invitées ont été conduites par des adoptés ayant acquis des positions dans le monde académique. Dans certains campus, des groups d’adoptés se sont constitués (plutôt d’origine asiatique), de manière relativement formelle, puisqu’ils doivent passer de trois à cinq heures par semaine avec leur tuteur, pour apprendre sur l’identité de l’adoption. Ils reçoivent même un financement de part de leur université (Amherst, près de Boston, par exemple). Au-delà de cet aspect anecdotique, cela met en relief des pratiques très fréquentes aux USA, où des groupes sociaux se forment et l’entraide provient des pairs un peu plus en avance dans le champ considéré. Ce modèle provient en fait des associations de type Alcooliques Anonymes, mises en place il y a un siècle, et cette méthode a maintenant traversé l’Atlantique. Les stratégies de faire face sont directement partagées par des personnes ayant connu la même histoire, en particulier dans les cas d’adoption « trans raciales », pour reprendre l’expression usuelle dans le monde académique américain.
Origines
Un jeune anthropologue, adopté en Israël, qui avait retrouvé sa mère de naissance, a insisté sur un aspect important dans la recherche des origines : une fois qu’une histoire devient connue, on ne peut plus revenir en arrière. Le processus est par essence irréversible et on doit se débrouiller avec des informations que l’on préférerait ne jamais avoir su, mais il est trop tard.
Il a été rappelé que l’utilisation des réseaux socio-numériques peut conduire à la peur d’une intrusion non désirée, d’une invasion de son intimité.
Il faut signaler la présence à Minneapolis d’Alex Guilbert, adopté en Russie par des néo-zélandais, qui a mis en place un site ouèbe « I am adopted » (https://www.imadopted.org/). Il a pendant la conférence présenté un court métrage sur la rencontre d’une adoptée néo-zélandaise avec sa mère russe, qui a été particulièrement remarqué.
Retrouvailles
L’université de l’Oregon s’est fait depuis des années une spécialité dans le suivi sur longue durée des adoptés (mais plus généralement des enfants dans le système de protection publique). La question a été posée à un groupe d’adolescents (de 15 ans) de savoir s’ils avaient eu un contact avec leur famille de naissance. La réponse était positive pour 65% d’entre eux avec la mère et pour 27% avec le père, avec un contact direct, par téléphone, messagerie ou par rencontre physique. Les questions qui les intéressaient le plus étaient, concernant les mères, la connaissance de l’histoire familiale. Vis-à-vis des pères, les questions étaient plus centrées sur leur vie. Le degré d’ouverture de l’adoption a évolué au cours du temps et à l’heure actuelle on constate, statistiquement sur l’ensemble de la population concernée, davantage de communication entre familles de naissance et adoptive. Cependant, pour une famille donnée, il convient de remarquer que l’ouverture évolue au cours du temps, avec un déclin que l’on observe dans de nombreuses études.
Pays d’origine
Un autre fait remarquable était le nombre de communications en provenance de pays à revenus faibles et intermédiaires, tels que le Kenya, l’Ouganda, le Zimbabwe, la Sierra Leone, l’Inde, le Guatemala, la Moldavie et même le Pakistan. Ces pays mettent en place des pratiques de désinstitutionalisation qui passent souvent par la promotion au niveau national de l’adoption, mal connue, ou des différentes formes de kafaalah pour des communautés ciblées. Par exemple en Ouganda, une communauté religieuse s’est formée pour promouvoir une « culture de l’adoption », lors d’une conférence qui a eu lieu en 2024.
D’après une intervention, le Guatemala n’est pas près de reprendre les adoptions internationales, car le pays a été très impacté par les mises en cause de procédures irrégulières. On y dénombre environ 100 adoptions nationales par an depuis 2008, pour une population de 17 millions.
L’adoption par intelligence artificielle
Pour Bruce Graham, le bien-être de l’enfant est un problème facile à résoudre. Il a présenté un logiciel, CFS (Children First Software), qui collecte toutes les données concernant les enfants qui sont dans les instituions qu’il visite, dans des régions où il n’y a ni Internet ni téléphone : registre de naissance, données de santé… Citons Haïti, la République Dominicaine, le Honduras, l’Ouganda, le Guatemala, l’Éthiopie, le Nigeria... Par ailleurs, il a des données sur une cohorte de familles candidates, dont le système s’est assuré de la qualité (rapports sociaux, capacité à accepter un enfant à besoins spéciaux…), et il peut suggérer trois recommandations pour un apparentement. Comme le logiciel est gratuit, le risque de corruption est exclu. Cela permet de réaliser une adoption en Ouganda pour 1500$, dans le respect de la convention de La Haye et de la convention de New-York de 1989.
Adoptions illicites
Susan Branco a indiqué que la procédure légale d'adoption transnationale a créé une coupure permanente avec la famille et la culture d'origine de l'enfant, assimilé de force à la culture des parents adoptifs. Elle a réalisé une étude visant à mettre en évidence les divergences dans les récits d’adoptions trans nationales en Colombie. Pour cela, elle a effectué une réanalyse d’une première étude qualitative avec 17 adoptés colombiens adultes qui ont rencontré leur famille de naissance, étude qui n’était pas destinée à pointer les adoptions illicites. Le point de vue choisi est ici celui du droit à l’identité, tel que reconnu par l’article 8 de la convention des droits de l’enfant de 1989. Sur cet échantillon, près de la moitié faisaient état de contradictions dans les narrations découvertes lors de la rencontre avec leur famille de naissance. A partir de ces éléments, les faits discordants sont classés en trois catégories : 1) vente d’enfants ; 2) trafic de mères de naissance ; 3) abus de procédure (rétention d’informations par les parents adoptifs ou microfictions).
Il est surprenant qu’une telle étude, intéressante sur le plan historiographique, prétende à une évaluation quantitative à partir d’un échantillon aussi faible, dont la sélection n’est pas même discutée.
Tests ADN
Un intervenant adopté en Corée a montré les intérêts que pouvaient comporter les empreintes génétiques pour les adoptés : 1) une exploration des ancêtres ; 2) la mise en évidence de maladies chroniques éventuelles ; 3) un catalyseur d’équilibre sanitaire. Il a mis en garde sur le fait que les sociétés qui proposent leur expertise génétique à distance n’accordent que peu d’importance à la spécificité de la communauté des adoptés, dont les membres ne sont pas toujours conscients des conditions générales qui s’appliquent à l’utilisation de ces services.
Évolution des thèmes dans la recherche sur l’adoption
Gera ter Meulen (Pays-Bas) a constitué une base de données bibliographique composée de près de 2500 articles publiés depuis 2009. A partir des abstracts de ces papiers, elle a pu établir un codage de chacun, ce qui permet de voir l’évolution dans le temps des thématiques. Le consensus est extrêmement fort sur le fait que l’institutionnalisation a un impact négatif chez les jeunes enfants, et que l’adoption permet une récupération. Le point de vue s’est déplacé des enfants adoptés et des familles adoptives vers les problèmes chez les adoptés adultes. De nouveaux thèmes émergent : les enfants d’adoptés, les bases de données d’ADN, les racines, la socialisation culturelle éthique. Par contre restent encore dans l’ombre : les parents de naissance (surtout les pères de naissance), les effets de la rencontre avec les parents de naissance, et les abus dont les adoptés ont été victimes.
ICAR9
ICAR9 aura lieu à Porto en juillet 2026, organisé par Maria Barbosa-Ducharme. Je signale que Paris a candidaté pour l’édition qui aurait dû avoir lieu en 2022, mais son projet n’a pas été retenu et il n’a pas été réanimé quand la situation sanitaire est redevenue normale.
On voit que ce déplacement de la problématique génétique versus environnemental vers la problématique du développement des adoptés en comparaison d’autres populations (non adoptés, adoptés nationaux, placés en familles d’accueil ou en institution), fait passer au second plan la question du biologique, mais sans l’éteindre complètement. La préemption du psychologique sur le sociologique est impressionnante. Tout aussi étonnante est l’absence quasi constante d’anthropologues, alors que la filiation constitue, avec l’alliance, le fondement du modèle des systèmes familiaux. Il conviendrait d’analyser plus finement que ce bref survol, les huit conférences pour confirmer ou infirmer l’hypothèse de la remontée du génétique dans les systèmes de filiation.
Néanmoins, de l’avis de tous les intervenants de 2024, l’adoption internationale est virtuellement terminée. Place aux historiens !